L’ours Kintsugi, fier et orgueilleux, n’aime rien moins que sa montagne et se promener au bord du précipice pour admirer le paysage et sentir le vent souffler entre ses doigts de pieds. Mais alors que le vent souffle très fort, il est emporté vers le bas, dans une chute interminable dont il ne ressort pas indemne. Honteux, il reste caché au cœur de la forêt, pansant ses blessures dans l’eau de la rivière. Bientôt la petite Kaori arrive pour l’aider et recoudre ses plaies de fil d’or. Une belle rencontre qui porte deux êtres à dépasser leurs aprioris, la fillette faisant preuve de courage et de bienveillance, l’ours de patience et d’acceptation de soi.
Le kintsugi est l’art de restaurer des objets brisés, généralement en céramique. L’idée est de valoriser les fêlures en les sublimant avec de l’or, une façon de prendre l’objet dans son ensemble, du moment de sa fabrication à la vie qui fut la sienne. Véritable ode à l’imperfection et à la fragilité, le kintsugi est l’art même de la résilience. Victoire de Changy a su parfaitement représenter la philosophie qui se dégage de cette forme d’art japonaise dans un album poétique et sensible, sublimé par les illustrations de Marine Schneider.
C’est l’histoire d’un ours qui s’appelle Kintsugi et qui tombe un matin de tout en haut d’une très haute montagne.
Ancien professeur des écoles, Orazio partage désormais son amour des livres avec les habitants des collines en jouant au bibliothécaire ambulant. Installée dans une Piaggio Ape, véhicule à trois roues italien, sa bibliothèque déborde de livres en tout genre, récupérés ça et là auprès de ceux qui n’en veulent plus. La venue d’Orazio est très attendu et chacun se précipite dès que le bourdonnement du moteur se fait entendre sur les routes montagneuses. Aussi lorsque Orazio perd son véhicule dans un accident, c’est tout un monde qui s’écroule…
Vous connaissez mon intérêt pour les albums de Davide Cali et une fois de plus, c’est un sans faute. Avec La biblio d’Orazio c’est un monde empli de partage et de générosité qui s’offre au lecteur, un monde dans lequel les livres ont une place d’honneur et deviennent vecteur de liens et de solidarité. Mobile, la bibliothèque permet à tous d’accéder à la lecture et remplit le rôle essentiel de lieu de vie culturel et social dans ces villages coupés les uns des autres par les collines.
Les illustrations très colorées de Sébastien Pelon débordent de lumière et de chaleur. Au fil des pages, le lecteur voyage littéralement, sentant la douce chaleur du soleil lui caresser les doigts lorsqu’ils se posent sur le papier. Les paysages sont tout simplement magnifiques et l’on sentirait presque la douce brise sur notre visage lorsqu’Orazio parcourt les collines à bord de sa biblio, fenêtres ouvertes. La Sicile se dévoile au travers de ses paysages et de ses habitants qui forment une communauté solidaire. Tout simplement magnifique !
Dans les collines de Sicile, c’est l’heure de la sieste. Tout est calme mais parfois, on distingue un bourdonnement étrange: BzzzZZZ…Une abeille ? Mais non, c’est la bibliothèque d’Orazio ! Cet ancien instituteur sillonne les villages des collines dans sa bibliothèque à trois roues. Sa mission : offrir des lectures aux populations isolées. Il y a le vieux colonel qui veut apprendre à cultiver des tomates, la fleuriste qui lit des histoires à sa maman malade, les petits écoliers passionnés d’aventures de cyclopes et de monstres marins…
Plus qu’un recueil, Juste le ciel et nous est un long poème qui défile d’un bout à l’autre amenant une réflexion philosophique, un questionnement sur l’existence, sur le rapport de l’humain à l’univers, à la nature.
En nous donnant le rôle d’observateur du ciel, simplement rattachés au sol par nos pieds, Annie Agopian nous invite à repenser la brièveté d’une vie humaine comparée à celle de la nature qui se répète dans le cycle infini des saisons. Mais son texte invite aussi à repenser le monde sans limites, sans frontières, aussi infini que le ciel.
Les bilingues pourront relire le livre dans l’autre sens, dans la langue arabe (texte traduit) ; les deux textes se font miroir et se partagent un même espace, une même illustration de Carole Chaix qui a su si parfaitement restituer les mots de l’auteure et les sublimer.
Le ciel comme une cartographie du monde dans laquelle se tracent les routes des nomades et des exilés. Le ciel comme dernier repère pour les sans-frontières. Le ciel infini. Le ciel et notre regard perdu dans lui. Notre regard et son questionnement sur notre existence. Regarder le ciel et penser à la terre, où finissent nos vies. Juste le ciel et nous est tout à la fois une cartographie, un pamphlet politique, une réflexion philosophique. C’est un long poème que l’on peut lire d’un bout à l’autre, et inversement. Carole Chaix s’est emparée de ces mots clefs : cartographie, nomadisme, peine, violence des hommes, chemin de vie, de haut en bas, du ciel à la terre, et l’homme au dedans. Juste le ciel et nous s’est transformé en dessins au trait qui, mis bout à bout, forment une carte ou un organigramme, et qui, pris individuellement, forment les pages d’un cahier secret.
Voilà un album bien sympathique qui fait du bien au moral en nous montrant les actions menées depuis le début du vingtième siècle à travers le monde. S’il n’apporte rien de plus que tant d’autres ouvrages du genre, il tire son originalité en mettant en avant l’importance du groupe dans l’action. En effet, s’il souvent porté par une seule personne, chaque mouvement contestataire a pu être entendu quand les masses se sont rassemblées pour faire plus de bruit, être plus visible.
De 1907 à 2020, du Royaume-Uni aux Etats-Unis, en passant par l’Inde, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, l’Estonie, l’Allemagne, la Bolivie, le Liberia, La Tunisie et la Suède, Tous ensemble revient sur treize mouvements pacifistes qui ont mobiliser les foules et fait changer les choses. Droits des femmes, des minorités, écologie, libération de l’emprise colonialiste ou d’un dictateur, et tant d’autres thèmes sont abordés ici que cet album devient un titre vraiment riche et intéressant. On y retrouve des visages connus, Rosa Parks, Greta Thunberg ou encore Gandhi mais à leurs côtés se trouvent les Suffragettes, les femmes pacifistes de Greenham Common ou celles du Liberia qui manifestèrent pour la paix…
Chaque cas bénéficie de quatre pages pour présenter une situation, un contexte puis détailler la démarche et la manifestation en elle-même. Le style graphique est moderne et oscille entre l’enfantin et le caricatural. J’ai trouvé que ce mélange convenait parfaitement pour d’un côté attirer l’œil des enfants mais aussi, pour appuyer la dénonciation de crimes ou d’atteintes aux libertés. Tous ensemble peut bien sûr le lire d’une traite mais il prendra plus de sens, de poids, si on lit chaque cas séparément, car ils ont de quoi nourrir des discussions et débats familiaux foisonnants.
Ils ont grimpé sur des arbres centenaires pour sauver les forêts tropicales de leur pays, elles ont marché sous une pluie battante pour que les femmes aient le droit de voter, des milliers de jeunes ont protesté ensemble, au-delà des frontières, contre les intolérables discriminations raciales ou ils ont organisé des vendredis revendicatifs contre le changement climatique qui met en danger notre planète… Ces manifestations pacifiques ont souvent été lancées par des individus courageux avant d’être portées par de vastes foules. En réunissant beaucoup d’énergies, elles sont parvenues à bousculer des situations qui semblaient figées à jamais. Cet album nous raconte comment, tous ensemble, créatifs, optimistes et ouverts aux autres, nous pouvons rendre le monde meilleur. Il nous montre que nous en avons réellement le pouvoir.
La Parure est une nouvelle de Guy de Maupassant, un classique étudié en classe, dans lequel on nous raconte comment une jeune femme insatisfaite de sa condition sociale se fait prêter une rivière de diamants pour se rendre à un dîner officiel et, après l’avoir perdu, emprisonne son couple dans les dettes et une grande pauvreté en achetant une nouvelle parure de remplacement qu’il leur faudra dix années à rembourser.
Annelise Heurtier dépoussière le texte et le rend accessible aux jeunes lecteurs en allégeant l’écriture sans en dénaturer l’essence. Avec ses mots elle nous raconte l’insatisfaction constante de Mathilde et l’éternel optimisme de son mari. On prend plaisir à suivre les caprices de l’une et les sacrifices de l’autre. Le drame qui les frappe vient remettre un peu de bon sens dans la cervelle de la dame Loisel qui ne comprend que bien trop tard que les apparences sont bien souvent trompeuses.
Delphine Jacquot fait le choix intelligent de donner une apparence animal aux différents personnages ; ce bestiaire éclectique donne au récit des allures de conte et invite à réfléchir à l’être et au paraître. Un message terriblement d’actualité à l’heure où l’utilisation des réseaux sociaux questionnent notre rapport aux autres et notamment l’importance à accorder au regard d’autrui.
Je remercie Isabelle qui la première m’a donné envie de lire ce titre et vous invite à lire sa critique.
Mathilde est jeune, belle, et elle rêve d’une vie bien plus grande que la sienne. L’invitation à un bal est l’occasion toute trouvée pour enfin s’échapper de son quotidien étriqué…
Alors qu’il passe les vacances chez ses grands-parents, un petit garçon nous raconte l’histoire qui se cache derrière la cicatrice de son Papou. Ce dernier, médecin généraliste à la retraite, le prend par la main et l’emmène en balade pour visiter la Tour Eiffel. En chemin, son papi lui raconte les gens et leurs histoires. Car des gens il en a vu dans son métier, des histoires il en a entendu et aujourd’hui il les connait toute. Les portraits qu’il fait de Hakim, Maryline, Lionel, Rebecca et Antoine sont un peu les nôtres mais surtout les leurs, leur histoire, leurs émotions.
Les gens sont beaux ! Oui, tous les gens sont beaux avec leurs imperfections, leur tête cabossée, leur air fatigué et leurs traits marqués. Tous différents, tous singuliers, les gens sont à l’image de leur existence et il est essentiel de se rappeler que la beauté est subjective, souvent influencée par les codes de la société, mais absolument pas représentative de la réalité. La beauté existe en chacun, il suffit simplement de savoir regarder au-delà des préjugés.
Magnifique album jeunesse proposé par Baptiste Beaulieu, Les gens sont beaux déborde de bienveillance et d’empathie. Le récit nous rappelle que nous n’avons qu’un corps et qu’il faut l’aimer pour le préserver, aimer ce qu’il fut, ce qu’il est et ce qu’il sera. Au-delà de l’apparence, c’est l’histoire qui est importante, le vécu et le ressenti et sensibiliser nos enfants à cela revient à les préparer aux images du corps en les préparant à les affronter.
Les illustrations de Quin Leng sont magnifiques de réalisme et nous emportent au cœur d’une foule de gens multiples qui représentent la diversité et la richesse de notre monde. Imprimées sur un papier épais type canson, elles dégagent une grande douceur, accentuée par le choix des couleurs. Coup de cœur !
« Je vais te confier un secret : un être humain, c’est une histoire. Et quand tu connais cette histoire, ça change tout. »
Bedřich Fritta est déporté au camp de Terezín en novembre 1941. Avec d’autres artistes, il travaille à la réalisation de plans et d’aquarelles de propagande qui disent combien la vie est belle à Theresienstadt. Entre deux illustrations nazies, les peintres utilisent le matériel à leur disposition pour peindre secrètement la réalité d’un quotidien bien moins colorés, un quotidien qui montre le désespoir, la souffrance, la faim, le froid, la mort. Bedřich Fritta dessine également pour son fils, Tommy. Il souhaite lui offrir un livre pour son troisième anniversaire…
Le 17 juillet 1944, ils se font prendre : Bedřich Fritta, Leo Haas, Ferdinand Bloch, Norbert Troller et Otto Ungar sont arrêtés, torturés, condamnés pour propagande mensongère. Le 26 octobre 1944, ils sont envoyés à Auschwitz où Fritta meurt le 4 novembre. Leo Haas a promis que s’il en sort vivant, il s’occuperait de Tommy. Il survit. Il revient à Theresienstadt pour y récupérer les dessins dont il est désormais le seul gardien de la mémoire de ses amis. Parmi les centaines de peintures, croquis et autres dessins, Leo découvre le petit livre de Tommy, un simple carnet recouvert de toile de jute. Il l’offrira à Tommy le jour de ses dix-huit ans.
L’ouvrage se divise en deux parties. La première vient directement du camp de Terezín et se compose des cinquante-deux aquarelles que l’artiste tchécoslovaque destinait à son fils. Tout à tour tendre et drôle, le livre de Tommy déborde d’amour et d’espoir. Ces dessins représentent l’enfant dans des gestes quotidien ou exprimant des émotions divers, d’autres tiennent plus de l’imagier et d’autres encore représentent l’avenir, celui que la père espère pour son jeune fils, alors qu’il ignore ce que le monde leur réserve ou s’ils sortiront un jour de cet enfer… L’émotion monte crescendo plus les illustrations tendent vers l’incertain et les espérances d’un père qui aimerait juste que son fils ait un avenir. Si l’amour qui se dégage des premières était déjà touchant, celui qui déborde des dernières est carrément bouleversant.
La deuxième partie est écrite par Hélios Azoulay, artiste aux multiples talents, qui nous raconte Bedřich Fritta, le Theresienstadt, le nazisme, la Solution finale de la question juive, Tommy, Leo, la vie d’après… Les mots sont tranchants, ils viennent brutalement confrontés le lecteur à l’horreur, l’innommable. On sent la colère, l’incompréhension de l’artiste, de l’humain. Les larmes montent ; le vertige me gagne ; la douleur est là, étouffante, accablante ; les larmes coulent… Je reste sans voix ! Les illustrations sombres, en noir et blanc, de Fritta viennent appuyer les propos de l’auteur et dénoncent l’horreur de la Shoah en Bohême-Moravie.
L’ensemble forme un tout, s’inscrivant dans l’héritage et la mémoire collective pour que jamais ne se répète l’horreur. Par ailleurs, je trouve intéressant la publication d’un tel titre à l’heure où le travail des artistes, et des auteurs en particulier, est de plus en plus soumis à la critique ou à la censure. En effet, là où l’on trouve aujourd’hui normal de remettre en question la légitimité d’un auteur à écrire sur un sujet considéré d’appropriation culturelle, de l’insulter ou d’appeler à la censure, il est pertinent de s’interroger sur les limites à ne pas dépasser pour éviter tout débordement extrémiste en regardant comment la censure a permis au nazisme de dissimuler ses atrocités…
Je remercie Babelio et les éditions du Rocher pour ce témoignage reçu dans le cadre de Masse Critique.
Terezín, 22 janvier 1944. Tommy a trois ans. Pour son anniversaire, son père, le peintre Bedřich Fritta, lui offre un livre qu’il a lui-même dessiné. Une histoire rien que pour lui. 52 petites aquarelles sublimes de beauté, de délicatesse et d’humour. Et il y a tant de tendresse, tant de poésie dans cet ultime cadeau d’un père à son fils que cela semble inconcevable qu’il ait pu voir le jour dans un camp, des mains d’un homme cerné comme tous les siens par la terreur et la mort. Le père mourut déporté à Auschwitz. L’enfant survécut. Dialoguant à travers le temps, l’écrivain Hélios Azoulay raconte l’histoire de Tommy, de son livre, de cet héritage. Des pages d’une profondeur saisissante, dont on ressort étourdi et bouleversé.
Avec ses cinq montagnes l’île de Turbin est déjà reconnaissable mais lorsqu’on s’en approche, c’est pourtant le brouhaha permanent qui indique sa position. Sans relâche, les habitants travaillent pour répondre aux demandes, que dis-je, aux ordres du roi Dontontairalenom qui attend de ses sujets constance et régularité. La rêverie et la flânerie ne font pas partis de son plan économique. Pinces à mollets, suppositoires-aux-orties et potirons dodus sont là pour booster les troupes en leur donnant un bon coup de fouet et ne surtout pas lambiner. Lasses de ne pouvoir lire les livres qu’ils fabriquent, les habitants finissent pas se mettre en grève !
A l’heure où le gouvernement vient de réformer les retraites en reculant notamment l’âge légal du retrait du monde du travail, les éditions Rue du Monde ont remis en avant, sur leurs réseaux sociaux, ce texte d’Alain Serres qui interroge le monde du travail et la consommation, et fait l’éloge du temps libre et de la lecture en particulier. Si la forme m’a séduite de par un texte drôle qui tend vers la satyre sociale, critiquant la société consumériste, et les illustrations tout aussi comiques de PEF, je reste moins convaincue par le fond qui m’a semblé peut-être un peu trop formel et didactique pour être totalement pertinent.
TRAVAILLER moins pour LIREplus n’en est pas moins un titre accrocheur qui donne à réfléchir au monde dans lequel nous souhaitons vivre, un monde qui laisse de la place aux loisirs et aux vacances…Par ailleurs, valoriser la lecture comme moyen de s’évader et de s’épanouir en dehors du travail ne peut être qu’une très belle idée ! A bon entendeur…
Sur l’île Turbin, on fabrique des livres, beaucoup de livres mais, on n’a pas le temps d’en lire un seul ! Il faut toujours travailler plus ; c’est le bon roi Dontontairalenom qui l’exige. Mais un jour, pourtant, un grand rêve ose traverser l’île : TRAVAILLER MOINS POUR LIRE PLUS…
Seize affiches, associées chacune à un texte, pour un peu plus de seize enfants et adolescents qui viennent parler de leur rêve d’un monde plus juste dans lequel il y aurait plus de place pour s’amuser et où les enfants pourraient décider de ce qui est bon pour eux, que ce soit dans l’assiette ou dans leur vie de tous les jours. Certains appellent à la fin des frontières tandis que d’autres veulent être plus libres, des filles veulent les mêmes droits que les garçons et d’autres veulent être libre d’aimer qui elles veulent.
S’inspirant des affiches révolutionnaires telles qu’on les voit encore dans livres d’Histoire, Alex Cousseau et Henri Meunier proposent un album qui invite à repenser le monde, à en redéfinir les limites afin que chacun puisse accéder à la culture, à l’éducation, que chacun puisse être aimer pour ce qu’il est, aimer qui il veut, choisir son destin et voyager sans se soucier des frontières. Au fil des textes on se prend à rêver avec eux d’un monde plus juste.
A quoi rêve-t-on aux quatre coins du monde quand on a 7, 9, 13 ou même 16 ans ? De s’amuser plus, de partir en vacances, de contester l’autorité abusive, d’abolir les frontières… Parfois, le rêve consiste juste à s’évader du cauchemar de la vie réelle.
Il était une fois un homme fatigué de courir tout le temps, fatigué de travailler sans jamais prendre le temps de se poser, de prendre du temps pour lui. Lorsqu’un matin il prend conscience qu’il a tout oublié, jusqu’à son propre nom, il se rend chez le médecin qui lui dit qu’à force de trop courir, il a fini par distancer son âme au point de la perdre. Un seul remède est possible, ralentir et attendre qu’elle lui revienne.
Invitation à ralentir, Une âme égarée dresse le constat de vies humaines passées à courir pour remplir ses journées au point d’oublier de s’arrêter juste un moment pour penser à soi, faire quelque chose pour soi, voir ne rien faire du tout et juste profiter du moment qui s’offre à nous. Et l’objet-livre nous offre d’ailleurs l’opportunité de vivre l’un de ces moments où l’on prend plaisir à se poser avec un beau livre entre les mains.
Si quelqu’un pouvait nous regarder d’en haut, il verrait que le monde est rempli de gens pressés, qui courent dans tous les sens, fatigués, en sueur, mais il verrait aussi leurs âmes égarées, à la traîne…
Raconté à deux voix, ce conte polonais se lit certes par les mots d’Olga Tokazrczuk mais ce sont principalement les illustrations de Joanna Concejo qui lui donnent sa consistance et offrent au lecteur le plaisir contemplatif propre aux livres illustrés. Lorsque l’on se laisse happer par les dessins au crayon, c’est tout un récit qui s’ouvre devant nous. Là où l’auteure nous raconte la douleur de la perte puis la prise de conscience, l’illustratrice nous raconte le temps passé à courir, puis le temps passé à attendre le retour de cette âme égarée qui, une fois de retour, amène la couleur dans les pages en même temps que de la lumière dans la vie de cet homme qu’il faut arrêter de courir après le temps.
Lorsque l’on prend conscience que les illustrations nous racontent littéralement l’histoire de cet homme, il est aisé de comprendre que cet album en fut récompensé en 2018 par la Mention prix Bologna Ragazzi. Des illustrations qui par ailleurs sont très réalistes et prennent des formes divers qui laissent beaucoup de place aux souvenirs et à la végétation. Impression renforcée par l’utilisation d’un papier à petits carreaux, jauni par le temps, qui donne à l’ensemble des airs de cahier ou de journal familial dans lequel on aurait consigné des souvenirs faits de quelques mots, de dessins ou de photographies. C’est tout simplement magnifique !
C’est une histoire à deux voix, celle de la romancière polonaise Olga Tokarczuk (parmi les plus traduites au monde, lauréate du Man Booker International Prize) et de Joanna Concejo, qui a créé un univers narratif parallèle, merveilleusement illustré par ses dessins captivants et pleins de secrets. Une réflexion profondément émouvante sur notre capacité de vivre en paix avec nous-mêmes, de rester patients, attentifs au monde…