roman ado

Guerrière (2023)

Auteure : Cécile Alix

Editeur : Slalom

Pages : 256

Alors que Nekeli et son frère jumeau Soulaï s’occupent des chèvres, leur village est sauvagement attaqué par des mercenaires en guerre contre la politique de leur pays. Massacrant à coup de kalachnikov ou de machettes les habitants, réduisant en cendre les habitations, ils usent d’une force brute pour arracher les enfants à leur famille qu’ils sont souvent contraints de tuer eux-mêmes, avant d’être enlever pour rejoindre des camps dans lesquels les garçons seront formés pour devenir soldats et les filles seront réduites à l’état d’esclaves sexuelles.

J’ai abordé la lecture de Guerrière sans vraiment savoir à quoi m’attendre, la quatrième de couverture ne révélant finalement que bien peu sur le sujet abordé. On comprend très rapidement que la lecture ne sera pas facile car la récit est chargé de toute la violence à laquelle sont soumis ces enfants, parfois guère plus âgé de six ans, brutalisés, violés, drogués, formés à tuer pour une cause qui les dépassent.

Voilà, c’est comme ça que ça se passe, je ne peux pas raconter autrement. Il y a des hommes assez ignobles sur cette terre pour capturer des enfants, les obliger à tuer leurs parents, leur farcir la tête de mensonges, de violence et de terreur, les dresser pour la guerre et les transformer en démons. C’est inimaginable, impossible à supporter. Pourtant je le vis.

Au travers d’une écriture poétique et imagée, Cécile Alix aborde le sujet avec une certaine pudeur, sans pour autant épargner son lecteur qu’elle confronte à une réflexion sur la culpabilité des enfants-soldats. S’ils tuent de façon souvent ignoble et barbare, ils sont eux-mêmes victimes d’une situation à laquelle ils ne peuvent qu’obéir pour rester en vie…

Depuis le jour de notre naissance, il y a douze ans, j’ai grandi en Soulaï et il a grandi en moi. Nous nous aimions déjà dans le ventre de mama. Je lui ai donné mes yeux, il m’a donné sa bouche, je lui ai donné mon nez, il m’a donné son front, nous sommes les deux visages d’une même âme.

Violent et révoltant, le récit se nourrit cependant de la force de son héroïne qui trouve son origine dans le lien qui l’unit à son jumeau. Nekeli veille sur Soulaï et Soulaï protège Nekeli. Elle se voit ainsi épargner la situation des autres filles, envoyée à l’entrainement avec son frère qui, toujours, s’assure de tuer pour deux, permettant ainsi à Nekeli de rester elle-même et de garder espoir de pouvoir s’enfuir. Cet espoir apparaît dans des fenêtres que le texte met à notre disposition comme pour nous permettre de reprendre pied avec notre réalité, de reprendre notre souffle après des scènes d’une violence crue, insoutenable.

Le rire de Soulaï éclate. Éblouissant. Une rafale de soleils sortie de sa gorge pour m’aveugler, me ravir et m’étourdir.

Guerrière est un roman difficile mais essentiel. L’histoire aborde un sujet terrible qui mérite d’être d’avantage médiatisé pour sauver ces enfants des horreurs auxquelles ils sont confrontés.

L’UNICEF mène des actions pour venir en aide à ces enfants-soldats, ils expliquent la situation et leurs actions sur leur SITE.

D’autres avis : Héloïse et Lucie.

***

Je m’appelle Nekeli. Ecoute bien ce que je dis. Parce que je ne sais pas si j’aurai la force de te le raconter une seconde fois.

Un village loin de tout,
le bonheur et l’insouciance de Soulaï et Nekeli
– deux visages d’une même âne.

Une communauté anéantie,
la terreur et le désespoir des jumeaux
– forcés, brisés, séparés.

Un cœur dévasté, une enfance abîmée, une rage décuplée.
Puissante et déterminée, une guerrière est née.

roman ado

De délicieux enfants (2024)

Auteure : Flore Vesco

Editeur : l’école des loisirs

Collection : Medium +

Pages : 224

Depuis L’Estrange Malaventure de Mirella, Flore Vesco se plait à réinventer les contes classiques pour dénoncer les travers de la société en plaçant les femmes au cœur de récits féministes, portés par des héroïnes qui n’ont pas froid aux yeux. De délicieux enfants nous entraîne en plein cœur d’une forêt sombre, peuplée de loups et de créatures mystérieuses.

Dans une maison pleine de rires et de vie, les écuelles restent aussi vides que le sont les estomacs. Sept enfants composent cette famille, les six premiers, venus par paires, sont forts et vigoureux, le septième est plus petit et discret mais aussi plus curieux. L’amour qui unit tous les membres de la famille les aide à supporter les privations et le goût de la soupe qui n’a bientôt plus que celui de l’eau. Mais quand sept autres enfants affamés viennent frapper à leur porte, l’équilibre se rompt…

Dans cette réécriture du Petit Poucet, l’auteure s’amuse à glisser des références à Hansel et Gretel encore au Petit Chaperon Rouge au travers d’un vocabulaire toujours aussi riche et imagé. Elle développe également tout un vocabulaire de la faim, dont le champ lexical vient se mêler étroitement à celui du désir et de l’éveil à la sensualité, le manque réveillant d’autres pulsions et envies. Ainsi la chair et le sang deviennent source de jeux de mots et de phrases à double sens qui viennent étoffer un message féministe dans lequel les ogrionnes se libèrent de l’enfermement familiale pour assouvir leurs désirs de chair auprès des hommes qui se présentent sur leur chemin.

Le sang est celui de la viande qui gicle et celui des jeunes filles qui deviennent femmes. A l’image de la couverture, la couleur rouge est omniprésente dans le texte ; c’est la couleur du désir et des passions. Sa présence dans la chaumière vient créer un sentiment de malaise que j’ai parfois eu du mal à gérer, notamment dans la notion de sang qui gicle de la chair que l’on découpe ou que l’on mord. Sentiment renforcé par le fait que l’auteure s’amuse à perdre son lecteur dans le déroulé des événements créant des situations que j’ai trouvé parfois dérangeantes.

Flore Vesco parvient une fois de plus à surprendre dans un texte qui emprunte aux contes classiques tout en déconstruisant les codes patriarcaux, pour offrir un regard plus moderne et féministe tout en dénonçant les stéréotypes et les préjugés de la société. Pourtant, le malaise ressentie au fil de l’histoire m’a privé d’un réel plaisir de lecture et m’a empêché de pleinement apprécié ce roman qui ne manque pas de mordant.

Autre avis : Héloïse et Lucie

***

IL NE FAUT PAS MANGER POUR VIVRE, MAIS VIVRE POUR MANGER LE MONDE ! Depuis des jours, les écuelles sont vides, tout comme les estomacs. Dans leur maison au fond des bois, le père et la mère désespèrent de nourrir leur chère progéniture. Sept bouches voraces. Sept enfants espiègles qui ont déjà bien grandi. Sauf Tipou. Difficile de trouver sa place, quand on en prend si peu…Du haut de ses treize ans, Tipou rêve d’aventure.
Cela tombe bien : la forêt noire et profonde cache d’inquiétants mystères. Qui sème ces feuilles et baies sanglantes ? Pour le découvrir il vous suffit, à vos risques et périls, de suivre les traces…

roman ado

My Lady Jane (2023)

The Lady Janies, book 1. My Lady Jane (2016)

Auteures : Cynthia Hand, Brodi Ashton & Jodi Meadows

Traductrice : Sarah Dali

Editeur : Rageot

Pages : 592

Alors que le Roi Edouard II se meurt, son fidèle conseiller, Lord Dudley, l’enjoint à désigner Lady Jane Grey pour lui succéder sur le trône d’Angleterre. Il propose une union avec son fils cadet, Guildford Dudley, afin d’asseoir la souveraineté de la cousine du roi par la naissance d’héritiers mâles, et celle des Edians par la transmission génétique. Mais l’Histoire ne saurait être complètement réécrite et Lady Mary entend bien prendre la place qui lui revient de droit à la mort de son frère…

Je ne sais pas si j’aurais lu ce titre si sa quatrième de couverture ne m’avait pas tant surprise au préalable et sans les nombreux avis élogieux des bookstagrameur.ses et autres babelionautes. Il faut dire que cette uchronie a de quoi surprendre avec ses thérianthropes qui prennent ici le nom d’Edians. Ainsi, les guerres de successions entre les enfants d’Henry VIII prennent un tournant fantastique, l’opposition religieuse étant remplacée par une opposition entre Edians et Authentiques, les premiers ayant pu sortir de l’anonymat après qu’Henry VIII se soit transformé en lion lors d’une colère monstrueuse.

Si l’on retrouve la chronologie et les étapes majeurs de l’Histoire d’Angleterre, tout le reste est pure fiction bien que ses auteures s’amusent à nous faire croire le contraire dans un jeu de dupes des plus pertinents. L’avantage de ce remaniement historique pour ses principaux acteurs, est que leur sort n’en est que plus positif, la mort prenant plus souvent la forme d’une fuite.

Ecrit à six mains, My Lady Jane est un roman fantastique bourré d’humour qui trouve son paroxysme dans des dialogues savoureux aux intonations so british et des quiproquos nés de l’ambiguïté de situations toutes plus cocasses les unes que les autres. J’ai par ailleurs particulièrement apprécié les personnages et notamment leur fonctionnement en binôme qui soulève toujours plus de dérision et permet des rapprochements romantiques attendus, bien que non essentiels au plaisir de lecture.

Voilà un roman qui devrait trouver son public chez les adolescent.es et jeunes adultes, surtout si l’on tient compte de son adaptation en série TV et sa diffusion prochaine sur Prime Video. Je serai, pour ma part, au rendez-vous le 27 juin !

Autre avis : Héloïse.

My Lady Jane de Cynthia Hand, Brodi Ashton & Jodi Meadows, HarperTeen, 2016.

Edward est le roi d’Angleterre. Accessoirement, il est aussi mourant. 
Jane, sa cousine, est sur le point de se marier et, le moins que l’on puisse dire, c’est que ça ne lui fait pas plaisir. 
Gifford est son futur époux. Il est également un cheval, la moitié du temps. Il fait partie des Edians, ces individus capables de se transformer en animaux. 
Pris au piège d’un complot qui les dépasse, ils vont devoir s’allier pour sauver l’Angleterre – et leur tête. 

roman ado·roman young adult

Madou en 5 actes (2024)

Auteur : Guillaume Nail

Editeur : milan

Pages : 312

Pas facile d’établir son dossier ParcourSup quand on a une passion qui ne nous permet pas de répondre aux attentes de la société – et des parents – et de remplir les cases dans lesquelles elle tente de nous enfermer. Madou, qui repique sa terminale, est en colère contre tous et contre elle-même, répugnant à se fondre dans un moule qui ne lui correspond pas. Poussée par Gabor, son petit ami, elle ose, elle s’affranchit des codes et part pour Paris, co-écrire un scénario avec un metteur en scène rencontré au théâtre où elle bosse en tant qu’ouvreuse.

Madou en 5 actes est pour moi la rencontre avec un auteur que je n’avais jamais lu et dont je découvre la plume pleine de justesse pour aborder le passage à l’âge adulte avec ses questionnements, la passion du théâtre et le pouvoir de l’écriture. Guillaume Nail dresse le portrait d’une adolescente qui porte en elle les doutes et les questionnements de sa génération, en proie à une inquiétude permanente de trouver sa place dans un monde en plein changement, et à l’intérêt de faire des études qui ne la conduiront nulle part.

Construit en cinq actes, le récit voit Madou évoluer au rythme de sa passion pour le théâtre et des rencontres. Elle avance à tâtons, chute parfois, mais se relève toujours, le regard tourné vers l’avenir qu’elle dessine, portée par des amis, qu’elle ne mérite pas toujours, des parents concernés, à qui elle rend la vie impossible, et de nouvelles rencontres qui remettent en question ses décisions et la poussent à interroger celle qu’elle est vraiment.

Récit initiatique, Madou en 5 actes est un roman qui se révèle exaltant dans les passions de son héroïne et dans l’écriture moderne de son auteur, dont les descriptions de paysages sont une invitation au voyage, et dont la poésie se fait la fenêtre d’une âme luttant avec un puissant désir de liberté. On pourra prolonger la lecture en musique ou en lecture grâce à une playlist et une bibliographie proposées en fin d’ouvrage.

Je vous invite à lire l’avis de Séverine.

***

Madou rêve de se projeter dans sa vie d’adulte, mais ne se voit pas d’avenir… Comment faire quand on se sent incomplète ? Où trouver sa part manquante quand on ne sait pas ce qui nous manque ?
C’est par le théâtre que Madou va trouver des réponses. En cinq actes, entre Cherbourg, Paris et Avignon, elle par à la recherche d’elle-même…

Nouvelle·roman ado

Le Roi des Sylphes (2023)

Auteur : David Bry

Editeur : Nathan

Collection : Court Toujours

Pages : 64

Au sommet des Monts Brumeux, le peuple des Sylphes se meurt. Les hommes, toujours plus avides de territoires, n’ont plus peur de les approcher. La souveraineté des êtres de l’air n’est plus ce qu’elle était et leur pérennité s’étiole. Avec l’espoir d’un renouveau, Albe, reine sylphide, veut que son fils, tout juste âgé de quinze ans, renonce à sa part humaine et devienne roi. Mais Galerne a des envies de voyages, d’amour et de liberté, il croit en un monde plus juste.

La citadelle de la reine des sylphes apparaît à un détour du sentier, masse de tours enneigées et de remparts gris. Bâtie à même le flanc rocheux, elle surplombe le paysage tel un phare sur une mer du nuages et de glace.

David Bry parvient à construire un univers froid et dangereux en quelques pages à peine. Ses descriptions poétiques présentent le monde sur le déclin d’une espèce dont la survie ne tient plus qu’à un fil. Les sylphes sont froids et austères, à l’image des murs qui abritent leur royaume ; dénués d’émotions humaines, ils ressentent différemment, plaçant l’intérêt de leur peuple devant tout autre chose. S’ils sont capables d’aimer, l’amour n’a pas le pouvoir d’assurer leur descendance.

L’écriture joue sur les descriptions pour nous immerger complètement dans l’univers qu’il dépeint. Et si les personnages semblent austères et distants, on ne peut que ressentir leur crainte de perdre tout ce en quoi ils croient, et espérer avec eux que leur prince embrasse sa destinée pour tous les sauver. Pourtant, Galerne parvient aussi à nous toucher et nous faire croire que sa vision du monde n’est pas la fin du monde qu’ils ont connu, mais le commencement d’une nouvelle vie.

Si l’histoire insiste sur le conflit qui oppose sylphes et humains, c’est la confrontation entre les générations qui est intéressante et place ses personnages face à l’inéluctable. D’un côté, les anciens tentent de sauver le monde qu’ils connaissent, qui les maintient à distance des hommes avides, cupides et destructeurs. De l’autre, l’héritier au trône est face à un choix délicat qui trouve son origine dans son métissage : renoncer à sa part humaine pour devenir roi et perpétuer les traditions, ou la conserver et partir à la découverte du monde, gagner sa liberté.

_ Vous êtes solitaires, sans passion, peste Galerne. Recroquevillés dans ces montagnes. Et je devrais être heureux de devoir vous ressembler ?
Il éclate d’un rire amer.

Le Roi des Sylphes est une nouvelle très riche qui laisse entrevoir les prémices d’un récit plus dense que j’aurais aimé découvrir. Bien que parfaitement construite et maitrisée, l’histoire m’a laissée sur ma faim, d’autant que l’auteur nous laisse sur un final ouvert et plein de promesses.

***

Le royaume des Monts Brumeux est de plus en plus menacé par les humains. La reine des Sylphes, craignant pour la vie de son fils de 15 ans, va chercher de l’aide auprès de son ancienne amante, la sylphide Joran, qui vit seule dans la forêt depuis leur séparation… Joran a pour mission d’escorter le jeune homme jusqu’au sanctuaire des Sylphes afin qu’il devienne immortel. Mais l’entreprise est risquée et le garçon, contre toute attente, rêve de rejoindre le monde des humains…

poésie·roman ado·roman young adult

Mes coups seront mes mots (2021)

Punching The Air (2020)

Auteurs : Ibi Zobai & Yusef Salaam

Traductrice : Catherine Nabokov

Editeur : Gallimard Jeunesse

Pages : 416

Il est parfois des livres qui vous attrapent par les tripes et vous laissent avec l’impression d’avoir pris une claque. Mes coups seront mes mots fait définitivement partis de ceux là avec son sujet poignant, sa verve puissante et ses émotions bouillonnantes. Inspiré de l’histoire de l’un de ses auteurs, Yusef Salaam (voir en fin de billet), le récit nous raconte le bouleversement d’une vie quand la justice condamne à tord.

Amal est un jeune lycéen américain noir, skateur, poète et peintre. Arrêté au mauvais endroit, au mauvais moment, il est condamné pour un crime qu’il n’a pas commis. Envoyé un prison, il parvient à maintenir son humanité et à ne pas perdre espoir grâce à la peinture qu’il exprime tant avec les mots qu’avec le dessin.

COSTUME GRIS

Umi m’a dit de mettre un costume gris
parce que les apparences
Mais en gris je n’étais pas moins noir
Avec mon avocat blanc, je n’étais pas moins noir
Les mots peuvent peindre des tableaux en noir et blanc, aussi
Peut-être que les idées ont des yeux
qui séparent le noir du blanc comme si le monde
était une vieille, très vieille émission de télé
Peut-être que les idées, c’est la ségrégation comme au temps
du révérend King et peu importe les marches,
les hashtags, les Justice pour Untel
les yeux de notre esprit et l’esprit de nos yeux
voient le monde comme ils l’ont décidé
Tout est déjà illustré
en noir et blanc

Je lis (trop) peu de récit en vers libres, à tord en vérité, peut-être par peur de ne pas saisir le sens du message que l’auteur.e nous adresse. Et pourtant, pas besoin d’interprétation pour comprendre les mots qui tombent ici comme des coups de poings, violents, percutants, ou le rythme qui sonne comme un slam énoncé à voix haut, débité avec la force conférée par le besoin de dire l’injustice, de dénoncer la violence, le racisme, l’univers carcéral…

Le sujet est grave, la forme est saisissante, mais au cœur de toute cette violence, une lumière parvient à briller faisant écho au prénom du jeune héros : l’espoir – Amal veut dire espoir – prend forme dans les poèmes et dessins qui permettent à Amal d’exprimer toute sa colère, sa détresse et ses espérances. Mes coups seront mes mots dénonce les violences raciales, encore bien trop courantes au Etats-Unis, mais parvient à maintenir un peu d’optimisme en parlant du pouvoir de l’art dans l’expression de la vérité.

Punching The Air d’Ibi Zoboi & Yusef Salaam, Balzer + Bray, 2020.

Une lecture puissante à prolonger par la sublime et bouleversante mini-série d’Ava DuVernay, When They See Us qui revient sur l’affaire dite de « la joggeuse de Central Park » qui a bouleversé l’Amérique dans les années 80/90. et dans laquelle cinq adolescents d’Harlem, Raymond Santana, Kevin Richardson, Antron MacCray, Yusef Salaam et son ami Korey Wise, sont arrêtés, interrogés et condamnés pour le viol et l’agression sauvage d’une jeune femme blanche qui faisait son jogging dans Central Park

Amal, lycéen noir américain, ne vit que pour le dessin, la peinture et la poésie. Il suffira d’une bagarre. Juste une embrouille entre garçons pour son existence bascule… et c’est la prison pour un crime qu’il n’a pas commis. Ce n’aurais pas dû être son histoire. Pourra-t-il la changer ?

roman·roman ado

Anne d’Ingleside (2022)

Anne of Ingleside (1939)

Auteure : Lucy Maud Montgomery

Traductrice : Patricia Barbe-Girault

Editeur : Monsieur Toussaint Louverture

Collection : Laventure

Pages : 345

Anne Blythe n’est définitivement plus la petite orpheline arrivée à Green Gables pleine de cet espoir de trouver une famille et de ce désir d’être aimé. A la tête d’une famille de six enfants, son quotidien ressemble à celui d’une femme de son époque, partagée entre l’éducation de ses enfants, l’entretien de son foyer et les actions de charité et d’entraide.

Elles marchaient tête nue. Les cheveux d’Anne luisaient toujours au soleil de l’acajou lustré et ceux de Diana étaient toujours d’un noir brillant.

Bien loin de ses aspirations de jeunesse, Anne semble se complaire dans cette vie de femme au foyer et avoir mis de côté ses désirs d’écriture ou d’émancipation. Si cela est quelque peu décevant, je me dis aussi que les femmes de cette époque n’avait pas vraiment d’opportunités de s’épanouir autrement et savoir qu’Anne a su trouver son bonheur dans un rôle qu’elle n’imaginait pas prendre nous la révèle un peu plus. Après tout, le désir de famille et d’amour qu’elle désirait tant sont désormais au cœur de son existence et il ne fait aucun doute que l’amour qu’elle donne à ses enfants lui est rendu au centuple.

Gilbert chéri, c’était merveilleux de redevenir Anne de Green Gables pendant une semaine, mais c’est cent fois plus merveilleux de rentrer et d’être Anne d’Ingleside.

Il m’a malgré tout manqué une plus grande complicité entre Anne et Gilbert, assez peu présent finalement, car trop occupé par son rôle de médecin de campagne. De même, si j’ai pris plaisir à retrouver Marilla, Diana et même Rachel Lynde, il est loin le temps où leur rôle était essentiel et seules quelques pages au début du récit ne leur sont accordées. Quelques pages, qui nous permettent d’ailleurs de retrouver Anne Shirley le temps d’un instant fugace.

Les mères étaient les mêmes de siècle en siècle, une grande sororité d’amour et de dévouement qu’on se souvienne d’elles ou qu’on les ait oubliées.

Car ne nous y trompons pas, les héros de ce sixième volume sont Jem, Walter, Nan, Di, Shirley et Rilla. De chapitre en chapitre, d’année en année, nous suivons les aventures des bambins dans leur rapport à la vie, leur péripétie avec les animaux domestiques ou la recherche d’amitié, le tout bien souvent source de tristesse ou de déception. Car si les enfants sont élevés dans l’amour, la bienveillance et les valeurs de l’église, ils ne sont pas toujours très bien armés pour affronter le monde extérieur et les êtres fourbes ou malicieux, capables de s’amuser à leur dépens.

Walter […] avait toujours aimé écouter les grandes personnes parler. Elles disaient des choses surprenantes et mystérieuses, des choses auxquelles on pouvait réfléchir après et incorporer à l’essence même du drame, des choses qui reflétaient les couleurs et les ombres, les comédies et les tragédies, les joies et les peines de toutes les familles de Four Winds.

Il est heureux de retrouver en chacun d’eux un peu de la petite Anne Shirley mais à s’étaler sur autant de petits êtres, je me suis parfois sentie frustrée par l’absence d’une histoire plus solide qui nous permettrait de suivre tout ce petit monde avec plus de joie. J’aurais aimé, par exemple, pouvoir m’attacher à Walter qui semble avoir hérité de l’imagination fertile de sa mère, mais Lucy Maud Montgomery préfère s’attarder sur des épisodes anecdotiques qui tendent à se répéter et, malheureusement, à lasser.

Les enfants d’Ingleside jouaient ensemble, marchaient ensemble et vivaient toutes sortes d’aventures ensemble ; et chacun, de surcroit, possédait une vie intérieure riche de rêves et d’imagination.

L’écriture, bien qu’emprunte, parfois un peu trop lourdement à mon goût, d’une morale religieuse, reste très agréable à lire. Les descriptions de la nature sont autant de tableaux champêtres dans lesquels j’irai me promener. La poésie qui se dégage du récit, mais aussi des personnages reste un atout majeur dans le plaisir que je prends à lire chaque volume. Et Anne reste un personnage que j’affectionne tout particulièrement. C’est donc toujours un moment de douceur que de me plonger dans la suite de son histoire, même si j’y retourne avec un peu moins d’enthousiasme qu’autrefois.

Dans sa chemise de nuit blanche, avec ses deux longues tresses, elle ressemblait à Anne de Green Gables, à Anne de Redmond, à Anne de la maison de rêve. Sa lueur intérieure brillait toujours.

La suite de la série est déjà dans ma PAL mais je vais prendre le temps de m’évader autrement avant de revenir à Ingleside et sa délicieuse Vallée Arc-en-ciel.

Laissant derrière eux leur maison de rêve, Anne et Gilbert emménagent à Ingleside, à Glen St Mary. Et ils ne sont pas seuls ; désormais mère d’une fratrie de six enfants, entourée d’amis précieux et atypiques, la petite orpheline assoiffée d’amour et de tendresse semble avoir étanché sa soif. Voici le sixième volume des aventures d’Anne Shirley!

Prix littéraire·roman·roman ado·roman young adult

Nous traverserons des orages (2023)

Auteure : Anne-Laure Bondoux

Editeur : Gallimard Jeunesse

Pages : 496

Pépite d’Or 2023 du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse

Prix Sorcières 2024 – Carrément Passionnant Maxi

Saga familiale, Nous traverserons des orages est aussi une véritable fresque historique qui retrace, sur quatre générations de la famille Balaguère, un siècle d’Histoire, de la Première Guerre Mondiale à aujourd’hui. En cherchant à comprendre la violence qui l’anime, la narrateur en vient à chercher l’origine de la violence en général. Est-elle ancrée en chacun d’entre nous ? Se transmet-elle génétiquement ? Est-elle l’expression de quelque chose de plus important ? Trouve-t-elle son origine dans les atrocités du monde telles que les guerres ?

Alors c’est ça ? La France envoie sa jeunesse au casse-pipe en attendant que les vieux cessent de se cramponner à un passé révolu ?

En un peu moins de cinq cents pages, Anne-Laure Bondoux balaie donc les grands événements de l’histoire à laquelle ses personnages participent. A une échelle plus locale, elle aborde les changements sociétaux qui peuvent faire tellement plus que les guerres. On assiste ainsi à l’évolution des droits des femmes ou des homosexuel.le.s tout en regardant le progrès simplifier le quotidien de tout un chacun, les campagnes se vident et les villes se remplissent, la mondialisation est en marche ainsi que les bouleversements climatiques ou l’émergence de nouvelles maladies.

Et c’est parce que la grande histoire s’insère dans la petite, celle de la famille Balaguère, que cela nous la rend si forte et intéressante car tous ces événements nous concernent tous et ont touché toutes les familles. Avec ses secrets de famille, ses non-dits mais aussi ses amours contraints ou passionnels et ses traumatismes divers, la famille Balaguère prend l’apparence d’une famille ordinaire portée par des hommes et des femmes terriblement humains.

Comme je te l’ai dit, Saule, il n’y a pas de héros dans notre histoire. Seulement des hommes que la violence du monde laisse sans voix.

Cette deuxième rencontre avec l’écriture d’Anne-Laura Bondoux me permet de vraiment en apprécier la forme même si ce n’était pas gagné. En effet, si dès le début le texte se lisait très bien, il manquait d’émotions ; l’auteure maintenait une certaine distance, énonçant des faits, énumérant des événements sans s’impliquer émotionnellement. Mais je crois que j’ai fini par comprendre que le point de vue étant celui du narrateur, quatrième génération de la famille, il ne pouvait en être autrement. L’émotion s’invite peu à peu, quand l’histoire se rapproche de la sienne et implique des personnes avec lesquelles il a ou a eu une vraie connexion. C’est vraiment fort et parfaitement maitrisé dans l’écriture et la narration.

De même, les sauts dans le temps sont parfois déroutants en prenant la forme d’une liste d’événements qui se sont déroulés pendant que les enfants grandissait, les parents vieillissaient, les grands-parents mourraient… Cela manque définitivement d’émotions mais appuie le fait que le temps ne s’arrête pas et que l’Histoire est en marche, quoi qu’il arrive à l’échelle individuelle. Cela met aussi en avant la travail de recherches de l’auteure pour ne passer à côté de rien et donner du relief à son récit en montrant aussi l’importance que les événements traversés, selon l’époque vécue, peuvent impacter notre existence toute entière, nos émotions, notre caractère en faisant parfois ressurgir ce qu’il y a de pire en nous.

Et même après cent ans de malheurs, même si j’ai commis l’irréparable moi aussi, je ne désespère pas que nous apprenions enfin à prendre la parole plutôt que les armes.

D’autres avis à découvrir : Lucie, LiraLoin et Isabelle.

***

Voici l’histoire que je dois te raconter, Saule. C’est l’histoire d’une famille, d’une maison et d’un pays. Elle commence à la veille d’une guerre planétaire, dans une ferme de hameau qu’on appelle Les Chaumes. Elle s’achèvera un siècle plus tard, au même endroit. Entre ces deux époques, tu verras vivre ici quatre générations hantées par des secrets et des fantômes. Tu verras changer les saisons, les habitudes, les lois et les gouvernements. Tu verras des hommes tomber amoureux, rêver de grandes choses, partir à la guerre et en revenir sans mot et sans gloire. Jusqu’à moi. Jusqu’à toi.

Prix littéraire·roman ado

Pony (2023)

Pony (2021)

Auteure : R.J. Palacio

Traductrice : Isabelle Chapman

Editeur : Gallimard jeunesse

Pages : 336

Sélection Prix Sorcières 2024 – Carrément Passionnant Maxi

Silas et Martin Bird vivent aux abords de Boneville. Orphelin de mère, Silas a grandit dans la chaleur de l’amour paternel et dans l’affection de Mittenwool, être spectral qu’il est le seul à voir. Cette faculté de converser avec une entité aussi mystérieuse qu’invisible, en fait un être à part, moqué des autres enfants et des adultes, aussi étroits d’esprits qu’insensibles à la différence.

Toute mon existence, j’ai croisé des individus dans son genre. Bornés et sans imagination. Sans aucune vivacité d’esprit. Alors ils essaient de limiter le monde à des choses dérisoires qui leur paraissent compréhensibles, mais le monde ne peut pas être limité. Le monde est infini ! Et toi, si jeune que tu sois, tu le sais déjà.

Martin Bird officie comme bottier, mais il est surtout connu pour inventer des objets qui facilitent le quotidien. C’est le procédé qu’il a mis au point et qui permet d’imprimer l’image sur du papier plutôt que sur une plaque de cuivre qui attire l’attention de Roscoe Ollerenshaw, faux-monnayeurs recherché, qui espère bien améliorer la qualité de ses faux billets. Père et fils sont séparés et commence pour Silas une grande aventure.

[…]nos vies basculèrent pour toujours, à la suite de la visite avant l’aube de trois cavaliers et d’un poney à la tête sans poils.

Porté par le cheval qui a fuit les brigands qui ont emmené son père, Silas parcourt les paysages immenses de l’Ohio, bientôt accompagné par le Marshall Enoch Farmer. Au travers de leur voyage, c’est tout un pan de l’histoire américaine qui nous est contée alors que la Guerre de Sécession est sur le point d’éclater. Du massacre des Indiens à la conquête de l’Ouest par les européens, en passant par le combat contre les esclavagistes, l’auteure donne une voix aux victimes de ces combats au travers de la faculté de son héros à communiquer avec les fantômes. Mais au-delà de la guerre, il est aussi question de progrès et de découvertes scientifiques. Nous sommes à l’aube de la Révolution Industrielle et des changements majeurs qui en découlent.

[…]la guerre n’est juste que si elle est menée pour apporter la paix. Mais notre gouvernement ne se bat pas pour la paix. Il se bat pour des territoires.

Dans Pony, le lecteur trouvera tous les codes du western et du récit initiatique au travers du parcours de Silas, de ses rencontres et du combat inéluctable entre les bons et les vilains. Mais c’est aussi et avant tout une ode à l’amour, celui qui se poursuit au-delà de la mort et qui trouve ici son apogée dans la relation père-fils. Bien qu’ils soient séparés, le récit se nourrit des souvenirs ou anecdotes de Silas et Martin. Ils aident le jeune garçon à garder le cap et à croire en ce père dont l’histoire se dévoile peu à peu, le poussant à affronter l’histoire de ses origines.

À l’amour. À ce qui nous transcende. L’amour nous guide. L’amour ne nous quitte pas. L’amour est un voyage sans fin.

Comme on le découvre en postface, R.J. Palacio collectionne les daguerréotypes dont certains portraits d’anonymes viennent ouvrir chacune des onze parties qui composent son roman. Ils servent à donner un visage à ses personnages et d’une certaine manière, ils viennent les ancrer dans la réalité en les rendant plus tangibles. Je trouve ce procédé intéressant car la dimension fantastique de son roman joue justement sur la notion de vie et de mort, en confrontant le héros aux âmes restées sur place et en questionnant le lecteur sur la réalité des personnages qui entourent Silas.

Autre fait intéressant, le récit est ponctué de citations ou de références à des classiques de la littérature classique notamment autour des mythes grecques, le roman préféré de Silas étant Les aventures de Télémaque de Fénelon. Si elles servent intelligemment le récit, elles viennent aussi renforcer la nuance entre le réel et l’irréel, Silas prenant conscience au fil de son voyage qu’il a grandit dans un monde très protégé mais complètement déconnecté de la réalité. Cela rend son personnage d’autant plus intéressant et lui donne plus de profondeur.

Pony me permet enfin de découvrir une auteure dont je n’avais encore rien lu, une auteure qui écrit avec l’intelligence de l’esprit et du cœur. Pony est un énorme coup de cœur, un de ces textes qui m’a fait vibrer d’émotions et n’a pas manqué de m’arracher une petite larme.

Ohio, 1860. Silas Bird, douze ans, est réveillé en pleine nuit par trois cavaliers qui enlèvent son père sous ses yeux. Lorsqu’un singulier poney à tête blanche apparaît sur le seuil de sa cabane, Silas n’a plus qu’une idée : partir à cheval à la poursuite des ravisseurs. Accompagné d’un ami étrange et inséparable nommé Mittenwool, il embarque dans un périlleux voyage à travers les grands espaces et la nature sauvage américaine sur les traces de son père… et de son histoire.

roman ado

Fé M Fé (2015/2023)

Auteure : Amélie Dumoulin

Editeur : Québec Amérique

Collection : Magellan

Pages : 232

Fé, quatorze ans, vie légèrement en marge du monde dans lequel elle évolue. Elle voue un grand amour à son violoncelle, partage son temps entre les bizarreries de Lucie et le magasin de tissus où elle aide sa mère à choisir les pièces les plus moches possibles dont cette dernière tire des tee-shirts originaux qu’elle vend sur internet. C’est lors d’une de ces virés tissus que Fé découvre un petit salon de coiffure dans un petit coin reculé de la foule, presque coupé du reste du monde. A l’intérieur, Félixe, à peine plus âgé qu’elle, lave les cheveux des clients. L’attirance est immédiate.

Fé M Fé est le récit d’une rencontre et d’un premier amour. Mais c’est aussi un roman « tranche de vie » dans lequel on suit une jeune héroïne atypique et son petit cercle de proches. Amélie Dumoulin nourrit ainsi son environnement de liens familiaux forts et d’amitiés aussi rares que précieuses. Les différents personnages amènent chacun une couleur différente à l’histoire et permettent à l’auteure d’aborder des thèmes divers, éléments perturbateurs ou formateurs tels que la dépression d’un proche ou le besoin de connaître ses racines.

Si les premières pages m’ont surprise, j’ai vite été séduite par la plume de l’auteure, très familière, sincère et naturelle. Le langage coloré du français québécois nous plonge littéralement dans le quotidien de ces personnages vivant dans un quartier de Montréal, le Mile End, ne nous les rendant que plus réels. C’est aussi un excellent moyen de voyager en nous immergeant dans la langue du pays où se déroule l’histoire. Au final on se rend compte que certains mots inconnus n’ont besoin d’aucune traduction tant leur interprétation fait sens. Et pour les mots les plus compliqués, on pourra toujours se rapprocher du lexique proposé en début d’ouvrage.

Je remercie Babelio et les éditions Québec Amérique de m’avoir permis de faire la connaissance de Fé et de son univers coloré.

Félixe remet le bébé pigeon qu’elle vient de trouver dans sa sacoche. Elle m’embrasse d’un côté, s’arrête, me fixe – ses joues sont toutes rouges d’excitation -, elle m’embrasse tout doucement de l’autre côté, puis repart sur son vélo à toute vitesse.
_ Je vais le sauver, Fé, tu vas voir, il va devenir grand, il va aller à l’université !
Je la regarde partir. Je pose la plume sur mon nez. En temps normal, je crois pas que je pourrais tomber en amour avec une fille. Mais une fille qui sauve un pigeon et qui l’appelle Clint, je pense que je vais faire une exception.