album·Docu

TOUS ENSEMBLE on fait changer le monde (2022)

People Power

Auteure : Rebecca June

Illustrateur : Ximo Abadía

Traductrice : Corinne Giardi

Editeur : Rue du Monde

Pages : 64

Voilà un album bien sympathique qui fait du bien au moral en nous montrant les actions menées depuis le début du vingtième siècle à travers le monde. S’il n’apporte rien de plus que tant d’autres ouvrages du genre, il tire son originalité en mettant en avant l’importance du groupe dans l’action. En effet, s’il souvent porté par une seule personne, chaque mouvement contestataire a pu être entendu quand les masses se sont rassemblées pour faire plus de bruit, être plus visible.

De 1907 à 2020, du Royaume-Uni aux Etats-Unis, en passant par l’Inde, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, l’Estonie, l’Allemagne, la Bolivie, le Liberia, La Tunisie et la Suède, Tous ensemble revient sur treize mouvements pacifistes qui ont mobiliser les foules et fait changer les choses. Droits des femmes, des minorités, écologie, libération de l’emprise colonialiste ou d’un dictateur, et tant d’autres thèmes sont abordés ici que cet album devient un titre vraiment riche et intéressant. On y retrouve des visages connus, Rosa Parks, Greta Thunberg ou encore Gandhi mais à leurs côtés se trouvent les Suffragettes, les femmes pacifistes de Greenham Common ou celles du Liberia qui manifestèrent pour la paix…

Chaque cas bénéficie de quatre pages pour présenter une situation, un contexte puis détailler la démarche et la manifestation en elle-même. Le style graphique est moderne et oscille entre l’enfantin et le caricatural. J’ai trouvé que ce mélange convenait parfaitement pour d’un côté attirer l’œil des enfants mais aussi, pour appuyer la dénonciation de crimes ou d’atteintes aux libertés. Tous ensemble peut bien sûr le lire d’une traite mais il prendra plus de sens, de poids, si on lit chaque cas séparément, car ils ont de quoi nourrir des discussions et débats familiaux foisonnants.

Ils ont grimpé sur des arbres centenaires pour sauver les forêts tropicales de leur pays, elles ont marché sous une pluie battante pour que les femmes aient le droit de voter, des milliers de jeunes ont protesté ensemble, au-delà des frontières, contre les intolérables discriminations raciales ou ils ont organisé des vendredis revendicatifs contre le changement climatique qui met en danger notre planète…
Ces manifestations pacifiques ont souvent été lancées par des individus courageux avant d’être portées par de vastes foules. En réunissant beaucoup d’énergies, elles sont parvenues à bousculer des situations qui semblaient figées à jamais.
Cet album nous raconte comment, tous ensemble, créatifs, optimistes et ouverts aux autres, nous pouvons rendre le monde meilleur. Il nous montre que nous en avons réellement le pouvoir.

poésie·roman ado

J’ai vu Sisyphe heureux (2020)

Auteure : Katerina Apostolopoulou

Editeur : Bruno Doucey

Pages : 128

Pépites du Salon de Montreuil – Roman adolescents européen 2020

« Il faut imaginer Sisyphe heureux » disait Albert Camus.
« J’ai vu Sisyphe heureux. » lui répond Katerina Apostolopoulou.

Dans ce recueil de trois poèmes narratifs, l’auteure nous raconte la Grèce de son enfance, berceau de ses histoires dans laquelle évoluent ses personnages : une jeune veuve, un couple et un vieil ermite. Tous ont en commun leur pauvreté, leur ténacité et leur résilience. Chacun a pris son parti de cette répétition des tâches et y trouve le bonheur dans ces petits riens qui remplissent l’existence d’amour, de partages, de solidarité.

Leur situation paraît presque enviable si l’on regarde attentivement ce mode de vie qui se perd, un mode de vie certes assez pauvre mais dans lequel on n’est jamais seul, toujours soutenu et entouré. Là où notre société consumériste nous confronte à la difficulté de faire moultes choix chaque jour, les héros de ce recueil se contentent de ce qu’ils ont sans se poser de question, ils accueillent et prennent ce que la vie leur donne comme une évidence. Leur liberté semble arbitraire et pourtant…

Je découvre la poésie narrative avec ce recueil et je dois dire que si la poésie y prend toujours cette forme, y déverse toujours les émotions ainsi, alors c’est une poésie que j’apprécie. Racontant personnage et existence, chacune des trois histoires se suffit de peu de mots pour nous dire l’attachement et les valeurs qui rendent la vie plus belle.

L’auteure imprègne par ailleurs ces textes de cette double culture qui est la sienne. Et si, confrontée à mes propres limites, je me suis contentée de lire le texte en français, je ne peux nier avoir été attiré par la langue grecque, si inaccessible. Elle interroge sur l’écriture et le sens, et je n’ai pu m’empêcher de penser que peut-être Katerina Apostolopoulou avait encore plus à nous dire…

***

Vivre pauvre sans être rustre
Avoir peu et tout offrir
Garde le meilleur pour l’ami ou l’étranger
Reprendre tous les matins le même chemin
Savoir que toute la vie sera ainsi
Et en sourire
Moi
J’ai vu
Sisyphe heureux.

roman graphique

Furieuse (2022)

Auteur : Geoffroy Monde

Illustrateur : Mathieu Burniat

Editeur : Dargaud

Pages : 229

Pépites du Salon de Montreuil – BD/Manga 2022

Vieil ivrogne avachi sur son trône, le Roi Arthur n’est plus que l’ombre du héros qu’il fut lorsqu’il repoussa les terribles créatures descendues des enfers pour répandre la terreur sur Terre. L’épée forgée par Merlin s’ennuie et voit bientôt une porte de sortie se profiler à l’horizon lorsque le vieux et répugnant Baron de Cumbre vient réclamer la main de la Princesse Ysabelle. Cette dernière entend bien choisir sa destinée et prend la poudre d’escampette, aidée de l’épée dont la volonté propre n’a besoin que d’une main pour reprendre du service. Ysa découvre bientôt que le monde n’est que misère et déchéance, d’autant plus si l’on est une femme…

Mythe arthurien, heroic fantasy, aventure féministe, Furieuse est un peu tout ça à la fois. Avec ses 229 pages, ce roman graphique revisite le genre en plaçant le pouvoir entre les mains d’une jeune femme, qui refuse le destin qu’on a choisit pour elle. Les codes sont ici détournés avec talent et beaucoup d’humour par Geoffroy Monde et Mathieu Burniat qui signent un titre engagé en faveur des femmes, prisonnières de leur condition dans un monde pensé par et pour les hommes.

Surprenant, Furieuse est une pépite de la BD comme on en croise rarement avec son style unique, les dessins et le récit semblant se promener d’un registre à un autre en s’inspirant, ça et là, du meilleur et du pire pour notre plus grand plaisir. Divertissant, le récit ne manque pas d’interroger sur le pouvoir et son utilisation au travers d’une arme qui n’est pas sans rappeler l’anneau unique du Seigneur des Anneaux.

Merci Isabelle pour la découverte. Son avis est par ICI.

Le roi Arthur, celui de la légende ? Un vieil ivrogne décrépit qui passe ses journées vautré sur son trône. Sa gloire désormais bien lointaine, il la doit à l’épée magique que Merlin lui a forgée pour terrasser les hordes de démons venues envahir le royaume de Pendragon.

Devenue témoin de sa déchéance, l’arme enchantée s’ennuie ferme tandis que la princesse Ysabelle fulmine car son débris de père l’a promise en mariage à l’ignoble petit baron de Cumbre. Toutes deux bien décidées à se trouver un meilleur destin, Ysa et l’épée s’allient pour fuir le château et partir à la recherche de Merlin et de Maxine, la grande soeur disparue.

Mais le vaste monde peut se montrer bien cruel pour une princesse qui n’a connu que la vie de palais. Et les intentions de l’épée sont peut-être moins nobles qu’il n’y paraît…

album

La parure (2022)

Auteure : Annelise Heurtier

D’après la nouvelle de Guy de Maupassant

Illustratrice : Delphine Jacquot

Editeur : Thierry Magnier

Collection : Album

Pages : 32

La Parure est une nouvelle de Guy de Maupassant, un classique étudié en classe, dans lequel on nous raconte comment une jeune femme insatisfaite de sa condition sociale se fait prêter une rivière de diamants pour se rendre à un dîner officiel et, après l’avoir perdu, emprisonne son couple dans les dettes et une grande pauvreté en achetant une nouvelle parure de remplacement qu’il leur faudra dix années à rembourser.

Annelise Heurtier dépoussière le texte et le rend accessible aux jeunes lecteurs en allégeant l’écriture sans en dénaturer l’essence. Avec ses mots elle nous raconte l’insatisfaction constante de Mathilde et l’éternel optimisme de son mari. On prend plaisir à suivre les caprices de l’une et les sacrifices de l’autre. Le drame qui les frappe vient remettre un peu de bon sens dans la cervelle de la dame Loisel qui ne comprend que bien trop tard que les apparences sont bien souvent trompeuses.

Delphine Jacquot fait le choix intelligent de donner une apparence animal aux différents personnages ; ce bestiaire éclectique donne au récit des allures de conte et invite à réfléchir à l’être et au paraître. Un message terriblement d’actualité à l’heure où l’utilisation des réseaux sociaux questionnent notre rapport aux autres et notamment l’importance à accorder au regard d’autrui.

Je remercie Isabelle qui la première m’a donné envie de lire ce titre et vous invite à lire sa critique.

Mathilde est jeune, belle, et elle rêve d’une vie bien plus grande que la sienne. L’invitation à un bal est l’occasion toute trouvée pour enfin s’échapper de son quotidien étriqué…

Lecture à voix haute·roman ado·roman jeunesse

Jefferson fait de son mieux (2022)

Auteur : Jean-Claude Mourlevat

Illustrateur : Antoine Ronzon

Editeur : Gallimard Jeunesse

Pages : 304

Après le succès de Jefferson chez nous – notamment auprès de Juliette qui en a fait son livre de chevet (je suis bien incapable de dire combien de fois elle la relut) – l’annonce d’une suite fut accueillie avec grand enthousiasme. Ma demoiselle la d’ailleurs dévoré dès sa sortie mais il m’aura fallu plus de temps pour me lancer et, si j’ai apprécié la lecture, je n’y ai pas retrouvé le plaisir ressenti à la lecture du premier tome.

Simone, la lapine dépressive rencontrée lors de l’expédition Ballardeau, prend de court Jefferson et Gilbert, son ami de toujours, lorsqu’elle annonce être partie par besoin de changer d’existence et notamment de la remplir de l’amitié et de l’affection qui lui font défaut. Les deux amis se lancent à sa recherche, persuadés que Simone n’est peut-être pas aussi en sécurité qu’elle l’affirme. Bientôt accompagnés du vieux et sage blaireau, Mr Hild et de l’inimitable Walter Schmitt, ils tentent d’élucider le mystère de ce départ précipité en suivant les quelques traces laissées derrière la lapine.

C’est toujours un plaisir de lire Jean-Claude Mourlevat dont la plume séduit par l’ironie discrète qui vient questionner innocemment notre jugement, nous faisant rire en dénonçant des sujets de société graves qui méritent une attention particulière. Cette nouvelle aventure de Jefferson attire l’attention du lecteur sur la solitude et la fragilité dans laquelle elle peut plonger les personnes qui en souffrent. Déstabilisées, elles deviennent des cibles idéales pour des personnes sans scrupules capables de manipuler leurs émotions pour en tirer avantage.

Pourtant, abordé à la manière d’un bon polar et porté par une sacrée équipe de personnages qui ne manquent ni d’humour, ni de ressources, le sujet divertit tout en donnant à réfléchir. Si j’adhère complètement au précédé, le sujet m’a mise mal à l’aise et j’ai vraiment peiner à suivre les aventures du hérisson détective dès lors qu’on comprend qu’il est question de manipulation dans sa forme la plus extrême, bien que le texte ne manque ni de subtilité ni bienveillance. J’imagine que c’est un sujet trop sensible pour moi… En tout cas, Juliette a pris beaucoup de plaisir à retrouver Jefferson et à suivre la petite équipe de détectives, même si elle a nettement préféré le premier.

Je vous invite à lire les avis d’Isabelle et de Lucie.

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Quatre ans après la mémorable expédition Ballardeau, la vie a repris son cours tranquille pour Jefferson. Jusqu’à ce coup de fil de Gilbert, le cochon : « _ Jeff ! Viens vite ! _ Comment ça, viens vite ? Tu es où ? _ Je suis chez Simone. Il y a un lézard. _ Il y a quoi ? _ Un truc qui cloche. Viens. _ Mais c’est où ? J’ai pas de voiture, moi. » Découvrant que la gentille lapine dépressive a disparu, les deux compagnons filent sur ses traces… et au-devant de bien des ennuis.

Le coin de Gaby·Le coin de Ju

Culture adolescente #15

Semaine de rentrée oblige, les lectures se sont espacées et ont d’avantage pris la forme de BD ou de nouvelles, en somme des lectures courtes qui occupent durant le petit déjeuner ou le goûter. Après une semaine bien rempli en visionnages, celle-ci a été très calme…

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Que lisent-elles à 13 ans 1/2 ?

Juliette avait mis Spy x Family en pause et il n’a pas été facile d’emprunter à nouveau les volumes qui sont très très demandé mais l’attente en valait la peine. Elle a aussi tenté Faraway Paladin qui lui plaît beaucoup et Yuzu la petite vétérinaire qui ne lui convient finalement pas.

Elles continuent la série Princesse Sara et ont donc lu le septième volume cette semaine. De son côté, Gabrielle a repris l’Atelier des Sorciers qu’elle avait également mis en pause et qui est également très demandé, l’attente aura été longue mais on dirait qu’elle va enfin pouvoir se lancer. Côté nouveauté, il y avait le premier volume de la nouvelle série de Régis Hautière (La guerre des Lulu) qui se déroule surant la Révolution. Ce premier tome lui a bien plu. J’ai emprunté Le bal des folles et c’est elle qui la lu en premier (une fois de plus)? et je lui ai proposé Orange, une série qui fonctionne bien chez les ados, et elle a aimé la découverte. J’imagine que la suite arrivera selon les disponibilités.

Comme je le disais récemment, Gabrielle apprécie les nouvelles pour le format court qui lui permettent de lire d’un trait. Je lui ai ramené tout ce que notre médiathèque avait de la collection d’une seule voix chez Actes Sud Junior et elle a commencé par la relecture de Météore d’Antoine Dole. J’avais aussi prévu de tester la collection boomerang aux éditions du Rouergue. Ils n’ont que deux titres dans notre médiathèque et c’est Gabrielle qui les a lu en premier… Nouveauté à la maison, le dernier récit de la collection Court toujours chez Nathan. Enfin, avec une amie du collège elles ont décidé de se prêter des livres qu’elles apprécient et dans ce cadre, Gabrielle a lu une petite pièce de théâtre intitulée Pacamambo.

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Que regardent-elles à 13 ans 1/2 ?

Pour le rituel dimanche animation, leur papa avait choisi un court métrage. Maman pleut des cordes leur a beaucoup plu. Je dois dire que je les ai entendu rire comme des baleines, ils ont notamment aimé les clins d’œil à Mon voisin Totoro.

Gabrielle a aussi pris le temps de voir deux épisodes de Love is War avec son frère. Ils avancent lentement mais sûrement.

album

Les gens sont beaux (2022)

Auteur : Baptiste Beaulieu

Illustratrice : Quin Leng

Editeur : Les Arènes

Pages : 32

Prix Landerneau Album Jeunesse 2023

Alors qu’il passe les vacances chez ses grands-parents, un petit garçon nous raconte l’histoire qui se cache derrière la cicatrice de son Papou. Ce dernier, médecin généraliste à la retraite, le prend par la main et l’emmène en balade pour visiter la Tour Eiffel. En chemin, son papi lui raconte les gens et leurs histoires. Car des gens il en a vu dans son métier, des histoires il en a entendu et aujourd’hui il les connait toute. Les portraits qu’il fait de Hakim, Maryline, Lionel, Rebecca et Antoine sont un peu les nôtres mais surtout les leurs, leur histoire, leurs émotions.

Les gens sont beaux ! Oui, tous les gens sont beaux avec leurs imperfections, leur tête cabossée, leur air fatigué et leurs traits marqués. Tous différents, tous singuliers, les gens sont à l’image de leur existence et il est essentiel de se rappeler que la beauté est subjective, souvent influencée par les codes de la société, mais absolument pas représentative de la réalité. La beauté existe en chacun, il suffit simplement de savoir regarder au-delà des préjugés.

Magnifique album jeunesse proposé par Baptiste Beaulieu, Les gens sont beaux déborde de bienveillance et d’empathie. Le récit nous rappelle que nous n’avons qu’un corps et qu’il faut l’aimer pour le préserver, aimer ce qu’il fut, ce qu’il est et ce qu’il sera. Au-delà de l’apparence, c’est l’histoire qui est importante, le vécu et le ressenti et sensibiliser nos enfants à cela revient à les préparer aux images du corps en les préparant à les affronter.

Les illustrations de Quin Leng sont magnifiques de réalisme et nous emportent au cœur d’une foule de gens multiples qui représentent la diversité et la richesse de notre monde. Imprimées sur un papier épais type canson, elles dégagent une grande douceur, accentuée par le choix des couleurs. Coup de cœur !

« Je vais te confier un secret : un être humain, c’est une histoire. Et quand tu connais cette histoire, ça change tout. »

roman graphique

Le printemps de Sakura (2022)

Auteure/Illustratrice : Marie Jaffredo

Editeur : Vents d’Ouest

Pages : 108

Sakura vit à Tokyo avec son papa depuis la mort de sa mère trois ans plus tôt, des suites d’un dramatique accident de vélo. Français, Guillaume, tente de gérer au mieux l’éducation de sa fille, le rôle du père et de la mère tout en étant très pris par son travail. Alors qu’un déplacement en Inde s’impose à lui, il organise la garde de Sakura chez Obaa, sa grand-mère maternelle. D’abord un peu frileuse à l’idée d’aller chez cette parente qu’elle ne connaît pas, Sakura découvre une nouvelle façon de vivre et une porte ouverte sur les souvenirs d’une mère qu’elle n’a pas vraiment connu.

Le printemps de Sakura nous invite à un voyage dans la campagne japonaise au cœur même d’une vie chargée de valeurs traditionnelles avec ce que cela implique de croyances et de folklores. La fillette, privée de sa mère japonaise, revient aux sources de ses origines pour y découvrir un mode de vie au rythme de la nature. Auprès de son aïeule, elle redécouvre également cette mère partie trop tôt et dont son père ne lui parle jamais. Cette plongée dans l’autre moitié de ses origines culturelles lui permet de se redécouvrir également et de faire son deuil en appréhendant la mort sous un angle différant.

Calme et apaisante, l’ambiance générale du récit est presque contemplative. La narration appelle à l’éveil des sens entre les moments passés dans le jardin les mains dans la terre, dans la forêt à caresser la mousse ou au bord de la mer, le nez au vent ou encore le plaisir de marcher dans la nature avec pour seuls bruits le chant des oiseaux ou l’eau du torrent qui s’écoule. On appréciera aussi le temps passé en cuisine durant lesquels Obaa-san apprend à choisir ses ingrédients et à les cuisiner pour en faire ressortir toutes les saveurs. On en ressort avec une impression de bien être et une envie de voyager !

Sakura, 8 ans vit à Tokyo. Depuis le décès accidentel de sa maman quelques années auparavant, la fillette n’arrive pas à surmonter son chagrin. Obligé de s’absenter quelques semaines pour raisons professionnelles, son papa, français d’origine, décide de la confier à sa grand-mère japonaise. Mais les premiers moments avec cette aïeule vivant de façon traditionnelle au rythme de la nature, plongent l’enfant dans un désarroi encore plus grand ! Pourtant, contre toute attente, ce séjour va profondément transformer Sakura… Le temps d’un printemps auprès de Masumi, aussi douce que joyeuse, la fillette découvrira en elle des ressources insoupçonnées, lui permettant de dépasser le drame, et de s’ouvrir de nouveau à la vie. Cette résurrection passera par l’éveil de ses sens et la découverte de plaisirs simples : la pêche aux coquillages, la saveur des dorayakis, la sensation du sable chaud, le chant des roseaux, les senteurs du jardin, l’air de la mer, les rencontres avec les villageois ou encore la compagnie affectueuse d’un chat l’aideront à passer le cap de la résilience.

album

Pour Tommy – 22 Janvier 1944 (2023)

Tomičkovi

Auteur : Hélios Azoulay

Illustrateur : Bedřich Fritta

Editeur : du Rocher

Pages : 160

Bedřich Fritta est déporté au camp de Terezín en novembre 1941. Avec d’autres artistes, il travaille à la réalisation de plans et d’aquarelles de propagande qui disent combien la vie est belle à Theresienstadt. Entre deux illustrations nazies, les peintres utilisent le matériel à leur disposition pour peindre secrètement la réalité d’un quotidien bien moins colorés, un quotidien qui montre le désespoir, la souffrance, la faim, le froid, la mort. Bedřich Fritta dessine également pour son fils, Tommy. Il souhaite lui offrir un livre pour son troisième anniversaire…

Le 17 juillet 1944, ils se font prendre : Bedřich Fritta, Leo Haas, Ferdinand Bloch, Norbert Troller et Otto Ungar sont arrêtés, torturés, condamnés pour propagande mensongère. Le 26 octobre 1944, ils sont envoyés à Auschwitz où Fritta meurt le 4 novembre. Leo Haas a promis que s’il en sort vivant, il s’occuperait de Tommy. Il survit. Il revient à Theresienstadt pour y récupérer les dessins dont il est désormais le seul gardien de la mémoire de ses amis. Parmi les centaines de peintures, croquis et autres dessins, Leo découvre le petit livre de Tommy, un simple carnet recouvert de toile de jute. Il l’offrira à Tommy le jour de ses dix-huit ans.

L’ouvrage se divise en deux parties. La première vient directement du camp de Terezín et se compose des cinquante-deux aquarelles que l’artiste tchécoslovaque destinait à son fils. Tout à tour tendre et drôle, le livre de Tommy déborde d’amour et d’espoir. Ces dessins représentent l’enfant dans des gestes quotidien ou exprimant des émotions divers, d’autres tiennent plus de l’imagier et d’autres encore représentent l’avenir, celui que la père espère pour son jeune fils, alors qu’il ignore ce que le monde leur réserve ou s’ils sortiront un jour de cet enfer… L’émotion monte crescendo plus les illustrations tendent vers l’incertain et les espérances d’un père qui aimerait juste que son fils ait un avenir. Si l’amour qui se dégage des premières était déjà touchant, celui qui déborde des dernières est carrément bouleversant.

La deuxième partie est écrite par Hélios Azoulay, artiste aux multiples talents, qui nous raconte Bedřich Fritta, le Theresienstadt, le nazisme, la Solution finale de la question juive, Tommy, Leo, la vie d’après… Les mots sont tranchants, ils viennent brutalement confrontés le lecteur à l’horreur, l’innommable. On sent la colère, l’incompréhension de l’artiste, de l’humain. Les larmes montent ; le vertige me gagne ; la douleur est là, étouffante, accablante ; les larmes coulent… Je reste sans voix ! Les illustrations sombres, en noir et blanc, de Fritta viennent appuyer les propos de l’auteur et dénoncent l’horreur de la Shoah en Bohême-Moravie.

L’ensemble forme un tout, s’inscrivant dans l’héritage et la mémoire collective pour que jamais ne se répète l’horreur. Par ailleurs, je trouve intéressant la publication d’un tel titre à l’heure où le travail des artistes, et des auteurs en particulier, est de plus en plus soumis à la critique ou à la censure. En effet, là où l’on trouve aujourd’hui normal de remettre en question la légitimité d’un auteur à écrire sur un sujet considéré d’appropriation culturelle, de l’insulter ou d’appeler à la censure, il est pertinent de s’interroger sur les limites à ne pas dépasser pour éviter tout débordement extrémiste en regardant comment la censure a permis au nazisme de dissimuler ses atrocités…

Je remercie Babelio et les éditions du Rocher pour ce témoignage reçu dans le cadre de Masse Critique.

Terezín, 22 janvier 1944. Tommy a trois ans.
Pour son anniversaire, son père, le peintre Bedřich Fritta, lui offre un livre qu’il a lui-même dessiné. Une histoire rien que pour lui. 52 petites aquarelles sublimes de beauté, de délicatesse et d’humour. Et il y a tant de tendresse, tant de poésie dans cet ultime cadeau d’un père à son fils que cela semble inconcevable qu’il ait pu voir le jour dans un camp, des mains d’un homme cerné comme tous les siens par la terreur et la mort.
Le père mourut déporté à Auschwitz. L’enfant survécut.
Dialoguant à travers le temps, l’écrivain Hélios Azoulay raconte l’histoire de Tommy, de son livre, de cet héritage. Des pages d’une profondeur saisissante, dont on ressort étourdi et bouleversé.

roman

Trois sœurs (2021)

Auteur : Stéphane Servant

Illustratrice : Lisa Zodran

Editeur : Thierry Magnier

Collection : Roman Adulte

Pages : 56

Elles sont trois sœurs. Les filles de la folle. Unies par la force des choses et dans l’adversité. Submergées par une mère qui pleure celui qu’elle a aimé et perdu, elles craignent de reproduire les erreurs de celle qui leur a donné la vie, de se confronter aux mêmes choix, aux mêmes tentations et au même oubli.

Poétique et brutal, Stéphane Servant nous raconte l’adolescence et les émotions dévastatrices qui submergent les corps en pleine transformation, le désir qui nait au creux des corps qui grandissent, des corps bousculés qui se cherchent dans l’abandon sauvage de l’étreinte amoureuse comme pour affirmer un désir de vivre. En peu de mots, il se fait le témoin de ces sœurs qui s’éloignent pour se découvrir, et se retrouvent pour affronter le monde et ses tentations.

Les illustrations en noir et blanc de Lisa Zordan expriment toute la poésie et le lyrisme des émotions qui accompagnent le passage à l’âge adulte, dans ce qu’il a de plus pur et de plus animal. Deuxième voix, elles jouent un rôle entier de narration, appuyant la noirceur des émotions qui bouleversent et la lumière des corps qui s’épanouissent hors de leur chrysalide.

Je vous invite à faire un tour sur L’île aux trésors pour découvrir l’avis éclairé de son capitaine.

« Nous, blotties, crasseuses. Un seul et unique pelage d’enfance. Nous sommes trois sœurs. Les trois filles de la folle. »

La langue poétique de Stéphane Servant rencontre les images fantasmagoriques de Lisa Zordan pour un roman qui nous parle d’amour, de déchirures et de tempêtes, avec une force brute et une beauté rare.