Prix littéraire·roman ado

Les errantes (2022)

Auteure : Jo Witek

Editeur : Actes Sud

Pages : 320

Sélection officielle du Prix Vendredi 2022.

Suzanne s’installe temporairement au sixième étage d’une résidence haussmannienne, désertée de ses résidents en vu de travaux imminents. Si l’étage semble assez tranquille, Suzanne découvre qu’elle n’en est pas la seule résidente. Saskia, artiste estonienne, habite l’une des chambres durant son année d’étude à Paris. Encore plus discrète, la fille des propriétaires, Anne-Lise, est installée dans une troisième chambre, fuyant sa famille et refusant le confort et les avantages d’un milieu aisé qui, sous des apparences trompeuses, cache des actes dénués de piété, des actes odieux, voir criminels. Ces trois jeunes filles n’ont visiblement rien en commun, mais sont pourtant bientôt réunies par une même expérience surnaturelle qui les confronte à des apparitions fantomatiques venues les hanter et les poursuivre jusque dans l’intimité de leurs rêves.

J’ai découvert Jo Witek récemment dans des romans drôles et frais, écrits pour un public relativement jeune (Une photo de vacances, Y’a pas de héros dans ma famille). Je la redécouvre dans Les errantes, un récit fantastique qui pioche dans le genre horrifique pour nous faire frissonner et le genre historique pour nous faire découvrir des femmes oubliées. La première partie se concentre sur la présentation des jeunes filles et de leur première expérience avec le surnaturelle. Cela a été pour moi une épreuve glaçante qui m’a fait frissonner comme je ne l’avais plus ressentie depuis longtemps (notamment parce que j’évite tout ce qui fait un tant soit peu peur – oui je suis une trouillarde). Si Anne-Lise entend des voix, Saskia voit littéralement cette femme d’un autre temps partout où elle va. Mais l’expérience de Suzanne est certainement la plus effrayante ; entre rêves et possessions, la streameuse vit l’expérience traumatisante qu’a autrefois vécu l’esprit qui la hante comme si elle la vivait elle-même, portant à son retour, des stigmates physiques de ses « voyages dans l’au-delà ».

La seconde partie s’ancre d’avantage dans le réel, les jeunes filles décidant d’affronter leurs peurs pour retrouver leur vie en partant à la rencontre de ces errantes qui les habitent. Et c’est clairement cette deuxième moitié du roman qui m’a le plus captivé. L’auteure fait se côtoyer le fantastique et l’historique dans un récit profondément féministe qui place l’entraide comme élément moteur d’une démarche qui vise à sauver trois personnes de peurs profondément ancrées dans un questionnement plus vaste sur la place des femmes dans un monde créé par et pour les hommes. Suzanne, Saskia et Anne-Lise font preuve d’un magnifique esprit de sororité pour s’entraider, mais aussi pour apaiser les âmes tourmentées de ces femmes d’un autre temps, entravées par des croyances ou des normes sociales imposées par les hommes qui enfermaient les femmes dans un carcan étriqué.

Les errantes est donc un récit féministe qui emprunte les codes d’un genre littéraire plus largement porté par des hommes pour interroger l’héritage reçu des femmes qui nous ont précédé et sur le rôle que l’on a à jouer pour leur redonner la place qu’elles méritent. Magnifiquement portée par trois jeunes femmes fortes et déterminées, l’histoire met en avant des femmes ayant réellement existées ou inspirées de femmes ayant existées, des femmes restées longtemps oubliées auxquelles Jo Witek rend un hommage vibrant d’émotions.

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Suzanne, une streameuse survoltée, Saskia, une artiste en proie au découragement, et Anne-Lise, une jeune fille pétrie de spiritualité et en décalage avec son époque, cohabitent au dernier étage d’un immeuble bourgeois. Des apparitions fantomatiques et surnaturelles sèment la peur dans l’appartement.

Prix littéraire·roman ado

Rien nous appartient (2022)

Auteur : Guillaume Guéraud

Editeur : Pocket jeunesse

Pages : 160

Sélection officielle du Prix Vendredi 2022

On ne sait pas vraiment quand cela a commencé. Peut-être quand sa mère les a quitté son père et lui, peut-être pour tromper l’ennui des journées d’été solitaires dans la cité… Ce qui est certain c’est que Malik ne s’est pas radicalisé en Syrie, ni même en prison puisqu’il n’est pas même musulman. C’est un point sur lequel il insiste, car il ne faudrait pas croire qu’il compte faire exploser la bombe qu’il a fabriqué pour une idéologie religieuse en laquelle il ne croit pas.

Rien nous appartient est le récit que nous fait Malik de son existence chaotique dans un monde qui ne lui ressemble pas, un monde inégalitaire dans lequel il ne trouve pas sa place. Intelligent, il est bon élève et a la chance de pouvoir envisager des études, contrairement à ses amis. Mais a-t-il vraiment envie d’étudier ? Epris de liberté et de grands espaces, il rêve de nature et de chien, à l’image des héros de Jack London et de son roman préféré L’appel de la forêt. Quand enfin il pense avoir trouvé son chemin, le monde se met en pause ; comme un fait exprès, la pandémie du coronavirus vient l’enfermer et restreindre ses libertés, un peu plus, achevant ses rêves et ses espoirs d’un monde plus juste.

Guillaume Guéraud signe un titre percutant écrit dans un langage de la cité assez cru qui donne vie à un personnage déterminé mais surtout blessé par la vie. Son héros bouillonne d’une colère emprunte de révolte sociale forte et d’un désir puissant de gommer les inégalités qui sévissent dans nos sociétés modernes. Parfois décousu, le discours de Malik nous raconte sa famille, ses amis, son amour, ses larcins avec la sincérité d’un être au bord du gouffre qui sait qu’il va commettre un acte irréversible.

Rien nous appartient est une critique de notre société qui laisse de trop nombreuses personnes sur la touche. Pourtant, l’auteur met en place des personnes prêtes à tout pour aider les jeunes à se réintégrer. Cela soulève la question de l’accompagnement et de la prise en charge des personnes en situation d’échec ou de fracture sociale. Prenant la forme d’un testament, le texte se veut être l’histoire d’un adolescent ordinaire que ses origines stigmatisent et pourraient enfermer dans un rôle qui n’est pas le sien. Victime de la société et de ses règles, Malik est aussi victime de ses propres choix car, même s’il est désintéressé et ne veut que changer le monde en faisant bouger les choses, il ne le fait pas toujours de la meilleur façon. Un roman coup de poing à découvrir.

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Malik, jeune délinquant de Saint-Denis, cambriole un grand appartement parisien lorsqu’il se retrouve nez à nez avec un homme violent qui le menace d’un fusil avant de l’attacher et de le torturer. L’instinct de survie de l’adolescent prend le dessus et, à 16 ans, il est incarcéré à la prison pour mineurs de Marseille. Son sentiment d’injustice et de révolte ne fait que grandir.